
Ouija, jeu du verre ou faire tourner les table pour tenter de faire parler les esprits... Flippant, non ?
Et pourtant, qui n’y a jamais pensé ?
Et si vous pouviez parler aux morts ? Vous leur diriez quoi ?
Vous choisiriez qui ? Un amour disparu, un parent, une célébrité ? Elvis, Michael Jackson ? Cléopâtre, Napoléon ?
Ah quoi bon y penser, c’est impossible, n’est-ce pas ?
Et si pour vous, rien que pour vous, on rendait cela possible ?
Pendant ces quelques minutes ensemble, nous allons vous faire voyager dans l’au-delà et interroger une personnalité incroyable.
Installons le décor pour présenter notre invitée : nous sommes en Angleterre, première partie du XIXe siècle, imaginez l’époque victorienne et ses incroyables mutations scientifiques et techniques liés à la révolution industrielle balbutiante… Vous y êtes ?
C’est un véritable Génie des sciences et des mathématiques. Déjà à 12 ans, elle écrit un traité consacré aux ailes des volatiles. Elle inventera le premier algorithme. Elle est la preuve que les femmes scientifiques existaient même dans une société britannique sexiste.
Elle fait partie de ces femmes oubliées par l’histoire, victime de l’effet Matilda . Elle est la première codeuse de l’histoire, une véritable pionnière…
Je suis fier d’accueillir pour cette première interview de l’au-delà : Madame Ada Lovelace
Bonjour madame… Madame Byron ou Lovelace ? Comtesse ou Baronne ? Comment dois-je vous appeler ?
Bonjour, vous pouvez m’appeler Ada. Je crois que votre époque appelle à plus de simplicité. Vos lecteurs ne sont plus enfermés dans ces manières d’un autre temps.
Bien, tout d’abord merci d’accepter de répondre à nos questions et de nous consacrer un peu de votre temps
Oh, vous savez, le temps, ce n’est pas ce qui manque ici (sourire)
Ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve face à une personne célèbre… Lorsqu’on parle de vous, on vous qualifie tour à tour de : pionnière de l’informatique, première codeuse de l’histoire, mathématicienne de génie, on a même donné votre prénom à un langage informatique… Comment vivez-vous cette célébrité ?
Mon dieu, je ne sais pas… Je suis touchée par toutes ces marques de reconnaissances mais je ne réalise pas vraiment ce que cela signifie. A mon époque, je n’étais pas toujours prise au sérieux par la communauté des scientifiques. Toute ma courte vie, j’ai dû me battre pour m’imposer. Une femme scientifique n’était pas la bienvenue dans cette communauté dominée par les hommes...
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bien sûr, je m’appelle Augusta Ada King comtesse de Lovelace. Je suis née le 10 décembre 1815 à Londres. Mon père est le célèbre poète britannique Lord Byron et ma mère s’appelle Anne isabelle Milbanke. Tous deux sont issus de l’aristocratie mais leur mariage ne tiendra pas plus d’un an. Mon père n’étant pas vraiment un modèle de stabilité ou de fidélité. Les scandales étaient son quotidien. Par conséquent, je l’ai peu connu… Ma mère l’a vite quitté et ne souhaitait pas vraiment que son comportement m’influence… j’avais presque 9 ans lorsqu’il est mort en 1824 de la malaria, à seulement 36 ans.
A 36 ans… Mais…
Oui, je sais… C’est assez surprenant lorsqu’on sait que, moi-aussi, je finirais ma vie à 36 ans. Mais la coïncidence s’arrête là, car c’est un cancer de l’utérus qui m’emportera après toute une vie de santé fragile.
Vous avez donc été élevée uniquement par votre mère ?
Oui tout à fait. C’était une femme forte passionnée de sciences et surtout de mathématiques. Mon père l’appelait d’ailleurs souvent « la princesse des parallélogrammes » pour plaisanter.
Source : © Copyright Kate Beaton http://www.harkavagrant.com/index.php?id=298
J’imagine que c’est donc votre mère qui va vous pousser vers les sciences ?
Exactement ! Ma mère était inquiète à l’idée que je suive les traces de mon père : folie, frivolité, poésie… Elle souhaitait plus de rationalité dans mon éducation. Je vais donc étudier la science et la musique avec des tuteurs. Les jeunes filles de la noblesse n’avaient pas accès à ce genre de formation. Seuls les hommes étudiaient la science. J’ai même entendu que les femmes n’avaient ni la santé ni l’énergie nécessaire pour faire des sciences !
Et pourtant, vous allez le faire…
Oui, et je remercie ma mère d’avoir su me donner cette éducation-là. De tous mes tuteurs, c’est ma rencontre avec Mary Somerville en 1832 qui sera vraiment déterminante. C’était une des rares femmes qui avaient bravé sa famille et les préjugés de son époque pour étudier les mathématiques et l’astronomie… Elle sera tout de même la première femme admise dans la société royale d’astronomie ! J’avais 17 ans et j’avais trouvé en elle une amie, un modèle… En plus de l’algèbre et de la géométrie, elle m’enseigna la littérature, les langues, la géographie, ou encore la musique.
N’est-ce pas elle qui vous présentera à Charles Babbage ?
En effet, vous êtes assez bien renseigné. C’est lors d’un dîner organisé par Mary que je l’ai rencontré. Je crois me souvenir que c’était en juin 1833. Mon dieu, comme j’étais jeune… J’avais à peine 17 ans.
Pourriez-vous nous parler de votre rencontre avec Charles Babbage ?
Oui, bien sûr, je l’ai revu ensuite à une soirée qu’il organisait, accompagnée par ma mère. Toute la bonne société anglaise venait à ce genre de soirées, on pouvait y rencontrer les écrivains ou les savants les plus connus du moment comme David Brewster,Charles Wheatstone, Charles Dickens et Michael Faraday. Avec Charles, ce fut le démarrage d’une longue et amicale collaboration. Nous nous sommes écrit pendant près de 10 ans… Un véritable père pour moi !
Source : https://lernerbooks.com/shop/show/18165
Qui est-il ?
Oh pardon, j’oublie que tout le monde ne connaît pas sa réputation ! Charles Babbage fut un professeur de mathématiques réputé de l’université de Cambridge de 1822 à 1839. Il avait à son actif beaucoup de recherches mais il travaillait depuis une dizaine d’années à la création d’une machine à calculer, la « machine analytique », après avoir longuement travaillé sur une autre incroyable machine à calculer, « la machine à différences ».
Ah, ses fameuses machines… On dit qu’il est le « père de l’ordinateur ».
Bien, je vois que vous en savez quand même un peu sur lui. Je dois vous avouer que j’étais fascinée par son travail.
Pourriez-vous dire quelques mots simples pour nous expliquer ces deux machines
Je peux essayer. Il faut comprendre qu’à l’époque, les tables de calculs des livres de mathématiques, les tables nautiques ou astronomiques, sont souvent fausses. Les calculs fait par l’homme sont remplis d’erreurs. Charles Babbage va alors réfléchir à une machine pour résoudre ce problème. Il va construire une calculatrice automatique : la machine à différences. Mais, elle était bien trop chère à construire. Continuant ses recherches, il est persuadé qu’il peut concevoir une machine capable d’effectuer des tâches encore plus complexes que des calculs mathématiques en s’inspirant du métier à tisser Jacquard et de son système de cartes perforées. Il imagine alors une machine analytique conçue pour reproduire des actions en boucle. Une calculatrice programmable en quelque sorte ! Vous imaginez, c’est l’ancêtre de l’ordinateur…
Je ne résiste pas au plaisir de le citer, parlant de vous, il disait : « Cette enchanteresse des nombres a jeté son sort magique autour de la plus abstraite des sciences et l’a saisie avec une force que peu d’intellects masculins - dans notre pays au moins - auraient pu exercer.”Vous allez me faire rougir… Charles n’avait pas un caractère facile mais il était capable de dire de jolies choses.
Source : https://www.weblife.fr/actus/google-ada-lovelace-et-le-premier-algorithme
Être une femme et scientifique… Comment le viviez-vous ?
Cela n’a pas été simple car l’effort intellectuel était considéré comme réservé aux hommes. Vous vous doutez qu’une jeune femme qui suivait des cours de science et de mathématiques n’étaient pas très bien vue. On m’observa à la loupe. Si j’avais des nausées, des douleurs abdominales ou des palpitations. La raison en était vite trouvée : mes études. En réalité, je n’avais pas vraiment une bonne santé… Peut-être aussi qu’un régime alimentaire peu adapté y était pour beaucoup… Mais souvenez-vous que nous vivions une époque où la saignée était considérée comme la solution contre de nombreux maux. La médecine de l’époque n’était pas très avancée… Alors, être une femme et faire des sciences était un véritable chemin de croix jonchés d’obstacles. J’ai longtemps été réduite au nom de mon père par exemple… Comme si je n’étais rien par moi-même.
Vous avez pourtant été mariée, avez eu 3 enfants…
Oh là… Vous pensez vraiment que j’avais le choix ? Une femme de bonne société se devait d’épouser un homme noble et de lui faire de beaux enfants. J’ai donc épousé en 1835, William King, futur comte de Lovelace. Je ne vous explique pas ce que ce genre de mariage de convenance pouvait avoir de triste et ennuyeux. Je suis devenue la respectable Augusta Ada, comtesse Lovelace, mère de trois enfants, Byron, né en 1836, Annabella, née en 1837 et Ralph Gordon, né en 1839. Voilà… J’étais rentrée dans le rang… Ma santé avait malheureusement souffert de ces grossesses et j’étais incapable de poursuivre mes études de mathématiques. Je n’en avais ni le temps ni la force. Et puis, j’ai enfin eu la force et l’envie de reprendre le chemin des sciences. Mon mari a parfois été un soutien. Il savait que je mourrais d’ennui dans cette vie d’épouse et mère bien sage et bien propre. Mais il m’a demandé de signer mes articles et recherches par mes initiales pour ne pas mettre notre famille dans l’embarras.
Donc, si je résume bien… Après une longue coupure liée à votre vie familiale et votre santé fragile, vous reprenez vos recherches en 1839 ?
C’est bien cela.
Comment vous vous y prenez ?
Eh bien, j’ai demandé de l’aide à mon vieil ami Charles Babbage. Il m’a recommandé Auguste De Morgan, mathématicien célèbre et professeur à l’Université de Londres, pour reprendre des cours. Grâce à lui, je retrouve un niveau solide en algèbre, en logique et en analyse. Et je suis à nouveau les travaux de Babbage sur sa machine analytique. Je suis convaincue de son potentiel immense… Il semble que j’avais bien raison de me passionner pour ce travail, n’est-ce pas ?
Oh que oui ! Mais précisément, quelle est votre contribution à cette machine, à ses recherches ?
Lors de nos correspondances, j’ai souvent effectué des suggestions et parfois des diagrammes pour Charles. Nous échangions beaucoup sur cette machine. Et puis, il y a eu cette présentation de la machine devant le congrès des scientifiques italiens à l’université de Turin en 1840. Un mathématicien italien, Federico Luigi Menabrea, est fasciné par la machine. Il va alors écrire un article en français (« Notions sur la machine analytique de M. Charles Babbage»). Afin de le publier en anglais, Charles Wheatstone, connaissant ma maitrise du français et ma connaissance du sujet, va me demander de le traduire.
Mon petit doigt me dit que vous ne vous êtes pas contentée d’une simple traduction, pas vrai ?
Oh comme c’est mignon comme expression ! Oui, je dois bien l’avouer, j’ai trouvé cet article un peu faible en comparaison de tout ce que l’on pouvait trouver à dire… Je me suis donc permise d’ajouter quelques notes avec l’aide de Charles Babbage…Quelques notes ? Vous êtes modeste. Il semble que ces « quelques notes » étaient trois fois plus longues que l’article de départ…
J’ai beaucoup travaillé sur cette traduction. Charles Babbage, après avoir lu mes premières ébauches, m’a demandé d’aller plus loin. J’ai donc ajouté sept notes que j’ai baptisé de A à G. Mon objectif était de décrire les différences entre la machine analytique et les précédentes machines à calculer, et particulièrement sa capacité à être programmée pour résoudre n’importe quel problème mathématique. Je voulais donner un véritable « mode d’emploi » de notre machine. J’y détaille le système de cartes perforées, les emplacements et les fonctions des rouages, etc. Pour plaisanter, je me voyais un peu comme « la grande prêtresse de la machine Babbage ». Je me devais d’être respectueuse du travail accompli par Charles et moi. Nous avions cependant nos divergences : il voyait la machine analytique comme une invention à but purement mathématique, pas moi ! Pour moi, il s’agissait d’une machine universelle programmable, capable d’exécuter une série illimitée de tâches interchangeables ne se limitant pas aux nombres... J’étais sûre que La machine pourrait, un jour, reproduire tout ce que fait l’homme, comme la musique, la poésie, l’art. Il suffirait de lui trouver le bon programme. Elle tisserait des motifs algébriques comme le métier de Jacquard tisse des fleurs et des feuilles…
Laissez-moi encore vous lire une petite citation : « Les notes qui accompagnaient la traduction de mon petit mémoire étaient extrêmement remarquables et annonçaient dans leur auteur, une sagacité peu ordinaire » Luigi Federico Menabrea (Mathématicien & ancien premier ministre Italien)
Oh, quel beau parleur celui-là… Cela dit, je ne vais pas bouder mon plaisir, c’est agréable d’être reconnue par ses pairs.
« Programme » de calcul des nombres de Bernoulli dans la note G d’Ada Lovelace (1843).
Source : https://www.cscience.ca/2020/07/08/ada-lovelace-linventrice-de-la-programmation/
Parlons de la fameuse « note G » ! Vous avez quand même découvert le premier algorithme de l’histoire… Vous êtes la première codeuse en quelque sorte !
Oui, j’ai cru comprendre cela… Je ne réalise pas bien ce que cela signifie. Les progrès fait lors des siècles suivants sont tellement inattendus… Même dans mes visions les plus folles, je ne pouvais imaginer ce que les scientifiques allaient créer. Mon « programme informatique » comme vous l’appelez était assez rudimentaire… Il avait pour but de calculer une séquence de nombres de Bernouilli avec la machine. C’était nouveau et original pour l’époque, c’est vrai. Charles avait eu l’intuition géniale du premier ordinateur en s’inspirant des cartes perforées de la machine à tisser de Jacquard. Par mes recherches, j’y ai ajouté la première boucle conditionnelle, un véritable concept « informatique » comme vous le nommeriez aujourd’hui.
Ce programme, présenté sous forme de tableau, est réellement un des tout premiers de l’histoire. Il faudra attendre un siècle plus tard pour qu’on comprenne et utilise vos travaux…
Oui, hélas, Charles et moi n’avons jamais réussi à achever nos travaux ou à faire construire cette machine. Nous manquions de subventions pour aller plus loin. C’est sans doute mon plus grand regret… j’ai bien essayé de parier sur les courses de chevaux pour gagner de l’argent mais… Je crois que vous connaissez la suite, tout cela aura raison de ma santé fragile. Mais je suis assez fière de savoir que ces travaux n’auront pas été faits en vain. J’ai cru comprendre qu’un certain Alan Turing utilisera mes notes pour son calculateur universel mais aussi d’autres qui s’en inspireront pour créer le premier ordinateur… C’est assez grisant de penser à cela. Alors messieurs, ça fait quoi de savoir quel le premier programmeur de l’histoire est une programmeuse ? (Rire)
Justement, en tant que femme ayant vécue dans une époque patriarcale ou machiste, comment regardez-vous votre parcours et l’impact qu’il a sur les femmes d’aujourd’hui ? En bref, ça fait quoi d’être une « icône » féministe ?
Une « icône féministe » ? Je ne suis pas bien sûre de comprendre… Tous ces mots n’existaient pas vraiment dans l’Angleterre conservatrice victorienne. Je repense surtout à tous ces obstacles que l’on a posé sur mon chemin alors que petite fille je rêvais de construire des machines volantes… Il a fallu tenir bon et se battre, même parfois rester dans l’ombre pour continuer ma passion des sciences et des mathématiques. Je reste assez surprise que mon nom soit sorti de l’anonymat où il a été longtemps plongé. C’est la preuve que tout est imaginable pour les jeunes filles et les jeunes femmes de votre temps. Je leur souhaite d’ouvrir encore plus grand ce chemin de tous les possibles.
Cet entretien se termine et je tiens encore à vous remercier d’avoir bien voulu répondre à toutes nos questions.
Ce fut un plaisir.
Je tiens à signaler à nos lecteurs qui ne vous connaissaient pas que de nombreux hommages vous ont été rendues : en 1979, le département de la défense américain a développé un langage de programmation qui a été nommé Ada et qui est encore utilisé aujourd’hui dans de nombreux domaines (automobile, transports ferroviaires et aéronautique). On a donné votre nom à un des supercalculateurs du CNRS en 2012… Microsoft a fait poser votre portrait en hologramme, sur les certificats d’authenticité de ses produits Windows… Il y a même un astéroïde baptisé Ada. Et ce n’est pas tout : une journée vous est consacrée le deuxième mardi d’octobre pour promouvoir la place de la femme dans le domaine scientifique… Sans oublier romans, BD et films dont vous êtes soit le sujet principal soit le personnage secondaire. (Tilda Swinton interprète son rôle dans le film Conceiving Ada)
Je n’en demandais pas tant
Source : https://www.digitaltruelife.com/2019/10/ada-lovelace-1er-codeur-monde-femme-womenintech.html
Merci Ada, d’avoir été notre première invitée pour cette interview de l’au-delà. Et quant à vous chers lecteurs, je vous dis non pas à bientôt mais au revoir pour une nouvelle et étrange interview de l’au-delà avec nos pionnières de l’informatique…
(Source de l'image de couverture : https://www.laposte.fr/pp/timbre-ada-lovelace-1815-1852-lettre-prioritaire-international/p/1122025)
Pour aller plus loin :
https://www.franceculture.fr/numerique/ada-lovelace-la-premiere-codeuse-de-lhistoire
https://femmessavantes2.pressbooks.com/chapter/ada-lovelace-mathematicienne-1815-1852/
https://bu.univ-poitiers.fr/ada-lovelace-histoire-dune-pionniere-de-linformatique/
https://www.hardwarecooking.fr/gpu-ada-lovelace-un-gain-de-performance-tres-consequent/
par Edmond Kean
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